Les ruines d'Arbrefoudre

Un panneau indique : « DANGER ARAIGNÉES – FAITES DEMI-TOUR »

Sous la fine pluie d’une nuit presque sans lune, au point culminant d’une colline où se dessinent les ruines du village d’Arbrefoudre, les bruits d’un combat font rage. Il oppose un groupe de quatre valeureux compagnons connus sous le nom des « Griffes de la Vouivre », à l’un des représentants d’une espèce de créature crainte parmi toutes : un Dragon. Le monstre, qui cherche à imposer sa mainmise sur la région environnante est un cracheur de poison, encore jeune, nommé Ipsalotraxas. Nos valeureux héros l’ont traqué avec l’intention de mettre un terme à son règne débutant. Des motivations diverses les animent, mais ils savent que l’on compte sur eux, qu’il s’agisse des villageois comme des divers alliés de la Compagnie, telle la vieille Druidesse, Reïdoth, qui a fait le chemin avec eux depuis Haute-Bannière à travers les plaines, puis en bordure de l’antique forêt du Talban.
Ils ont minutieusement préparé leur assaut, fourbis leurs armes et leurs sortilèges, mais la bête est fourbe et puissante. Restant le plus souvent hors de portée des attaques, elle crache sur ses assaillants des nuages de vapeur pestilentielle, tandis que les trois guerriers Sangdragons, dont elle s’est adjointe l’allégeance, luttent à ses côtés jusqu’à périr, contraignant ce faisant les quatre compagnons à puiser dramatiquement dans leurs ressources. La situation semble désespérée : aucun héros n’est indemne et la créature de terre invoquée à leur secours vient d’échapper à leur contrôle. Au-dessus d’eux, Ipsalotraxas, à peine blessé, plane dans la nuit.

Il est plus que temps de répondre à la force et à la fourberie par la ruse. Tapie habilement dans l’obscurité, la compagnie fomente un plan : des illusions pourraient tromper le monstre, et son orgueil lui faire prendre un risque décisif. L’idée est bonne. Abusé par le stratagème, le Dragon se pose sur la tour. Sa cupidité attise sa colère et déjà il s’engouffre dans l’escalier, faisant face à l’invocation de terre livrée à elle-même.
C’est alors que celui qui est à la fois Ours et compagnon laisse libre cours à sa nature. La bête se fait, étonnamment, de plus en plus puissante et devient énorme, rivalisant de taille avec le monstre et roulant au sol avec lui. Mais le Dragon, qui a recouvert son souffle, se dégage et crache à son adversaire son nuage fétide, le laissant inconscient. Au pied de la tour, la fille des Enfers, emportée par la fureur du combat, convoque maladroitement l’avatar de son épreuve rituelle. L’issue ne tourne pas en sa faveur et il s’en faut de peu qu’elle ne lui soit fatale. Tandis que l’archère s’est envolée dans les airs et que le sorcier affronte la créature de terre, le Dragon décrit à nouveau des cercles dans le ciel.

C’est alors que d’autres forces entrent en action. Guidé par une Louve à la course souple et rapide, le vol d’un aigle strie le ciel, croisant brièvement le Dragon. Les deux animaux rejoignent l’arbre foudroyé sur la place du village, duquel apparaît également une Dryade. Galvanisé par leur présence, les compagnons jettent leur dernières forces dans le combat. Un nouveau trait de feu atteint la bête, qui plonge derrière un bâtiment. On approche prudemment. Deux Araignées de taille peu commune s’interposent, mais ne résistent pas à l’Ours-compagnon revenu, plus grand encore que précédemment. Et tandis que les flèches s’abattent drues à travers la brume, la nature elle-même semble prendre part au combat : sur le Dragon, cloué à terre par des racines et incapable de souffler, s’abat tout le ressentiment accumulé. Et c’est en proférant une dernière malédiction que le monstre perd la vie.





Lac d'Arbrefoudre



Le squelette du Dragon

le secret honteux d’Arbrefoudre

Récit par Eldoth Kron

" C’est la fable d’un village dont je vous ferai ce soir le récit. Ce village est né de la volonté de bûcherons et de chasseurs de bâtir une colonie en lisière d’une antique forêt et à proximité d’une grand’route. Tandis que ces hommes courageux cherchaient un signe des Dieux pour implanter leur future communauté, une nuit d’orage, un violent éclair mit le feu en bordure de la forêt. Le lendemain matin, le feu s’était éteint, mais une  parcelle se trouvait dégagée par l’incendie, au centre de laquelle trônait un arbre pétrifié. C’est là que les humains bâtirent leur village. Il prospéra durant plusieurs années. On y vivait heureux, des enfants naissaient et grandissaient.
Un matin, de l’arbre qui donnait son nom au village, jaillit un être féerique avec un buste d’homme mais sautillant sur des jambes de bouc. Son visage était surmonté de courtes cornes et sa barbe fournie. D’une main il tenait un flûtiau, de l’autre une outre de vin. Les hommes, méfiants, n’osaient approcher la créature, mais les femmes et les enfants, enthousiasmés par sa musique joyeuse et ses pitreries, l’accueillirent de bon cœur.
Après quelques cabrioles, la créature s’en alla. Mais de temps à autres, quand bon lui semblait, le Satyre – car c’est bien d’un Satyre dont il s’agissait – revenait, toujours au bon moment pour prendre part à quelque festivité, y régaler les habitants de sa musique et – il faut bien le dire car tel est dans leur nature – courtiser les donzelles.
Les hommes du village ne voyaient pas d’un bon œil les incursions de l’animal. Mais les forestiers le savent, lever la main sur un Satyre est un affront à la forêt pouvant entraîner grand’malheur. Pourtant, comme souvent, la raison des hommes pesa bien peu devant leur emportement. Après une nuit de fêtes durant laquelle la créature facétieuse, qui s’était à nouveau invitée, avaient ridiculisé plusieurs lourdauds en courtisant effrontément leur épouse et leur filles, décision fut prise le lendemain de mettre un terme à la situation.
Des jours durant, malgré les femmes qui tentaient de les en dissuader, les hommes du village se relayèrent par groupe au pied de l’arbre, armés de leurs haches de bûcherons et de leurs couteaux de trappeurs. Et c’est ainsi qu’à l’instant où l’être féerique jaillit innocemment de l’écorce, que le sort du village fut scellé. Le Satyre avait encore sa flûte aux lèvres quand il s’écroula, terrassé par la haine des hommes.
Quelques jours plus tard, des dizaines d’Araignées aux proportions gigantesques s’abattirent sur la communauté, envahissant les demeurent, piquant, mordant et laissant derrière leur passage des cadavres exsangues. Certains habitants, en petit nombre, étaient parvenus à s’enfuir et avait rejoint un jeune hameau à quelques jours de marche à l’Est. Mais du village en bordure de forêt, on n’entendit plus jamais parler.
Aujourd’hui, le temps a passé et j’ose penser que le courroux des fées est désormais apaisé. Mais, que ce récit nous aide à nous souvenir de toujours nous garder de nos mauvais penchants.
Je vous remercie noble assemblée de votre accueil et de votre oreille attentive. Mais il se fait tard et une longue route m’attend demain. "