Journal de Brume

An 316, 19ème jour du Printemps

Au bord de l'abîme,
Danse sur la caldera.
La rosée du matin.

Trahie par ton imprudence Brume, voilà une leçon dont tu as failli ne rien retirer. On n’apprend de ses erreurs que si on y survit. Mieux vaut apprendre de celles des autres…
Dame ! Lamesanglante s’est peut-être échappé, mais tu as maintenant une piste fraîche et des alliés de circonstance, peut-être que cette année de pénitence touche à sa fin ?

Étrange équipage en tout cas, que ceux qui m’ont tiré de cette fâcheuse posture : Kruk le demi-ogre, un rustre, violent, hédoniste… et miséricordieux ? Ces deux gobelins sont aussi chanceux que je suis surprise. Novembre la demi-elfe… Une forestière assurément, hardie à n’en pas douter. Téadon l‘elfe. Un érudit...Je crois me souvenir que la légende veut que du sang d’une entité surhumaine coule dans les veines des ensorceleurs.
La Compagnie des Sang-mélés !
L’humain enfin, Sildar, il m’a paru… À part. Leur employeur, peut-être ? Quoi qu’il en soit, il s’est excusé de sa méprise, ce qui est plus que beaucoup des clercs les plus avenants…
J’espère avoir l’occasion d’en apprendre plus.

Tu te ramollis Brume, une année de solitude et te voilà pressée de t’associer aux premiers venus.
Non.
Ils ont accepté ma compagnie. Pas de jets de pierre ou de quolibets. C’est étrange. Serait-ce un signe ? Vargar, tes lumières me manquent cruellement. J’avais encore tant de questions que j’ignorais vouloir te poser. Que la cendre te soit légère.  

Alea jacta est, nos quêtes convergent, je sais que ce n’est pas une coïncidence. Morn m’en soit témoin, avec leur aide nous trouverons cette caverne et je pourrai clore le livre des jours de Lamesanglante. En voilà un que je guiderai vers le tribunal des âmes avec plaisir.

Et après ? Nous verrons. Il sera temps d’écrire un nouveau chapitre, si je suis toujours de ce monde. Pour qui sert la Mort, point de repos autre qu’éternel…

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.

An 316, 20ème jour du Printemps
Sous les frondaisons
Serpente, Brume glaciale,
La route fatale.

La roue du Destin est lancée. Torgar, ton heure approche.
Les Mânes m’entraînent sur un chemin inconnu, à la pente rude et au tracé sinueux.
Et pourtant.
Et pourtant, j’avance. Mon pas s’assure. Le rythme s'accélère. Se jeter entre les Griffes de la Vouivre ? La proposition est inattendue… Inespérée ? Vas-tu fuir, encore ? Ou accepter une nouvelle fois de changer de route ?
Je pressens des épreuves. Mais je sens que c’est suivre la voie de l’illumination. Les augures me le confirmeront.
Ai Foi !
Un pied après l’autre, le corps ancré à la montagne, l’âme légère tend vers le ciel.
Patience. Calme. Méthode.
Bien.
Quand la décision est prise, l’esprit est plus clair. Ne brûle pas les étapes.
Je n’ai pu aider Kruk et Sildar, et nos destins sont liés maintenant.Il faut les arracher à leur funeste sort et ma main ne tremblera pas.
La malédiction d’abord.
La carte ensuite.
Torgar. Enfin.

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.

An 316, 21ème jour du Printemps
Qui vient en premier
Message ou bien messager ?
Cendres envolées.

La malepeste soit de la lycanthropie ! Miroir de nos faiblesses, reflet de mon impuissance.
Souviens-toi des paroles de Cestax. Seule la mort est certaine. On peut la repousser mais jamais totalement lui échapper. Pour le reste, il y a l’espoir.
Je prie pour Kruk et Sildar. Quelle que soit la voie que le Destin leur ouvre, je saurai les accompagner. En attendant, rien d’autre à faire.

Bien.
D’ici là, le devoir commande. Une âme à accompagner…
Accueillie par la mort à Haute Bannière. Si cela n’est pas un signe ! Il faut croire que les Griffes de la Vouivre sont bien plantées dans la poussière de la ville…
Morn, je sens que je serai ta vigie et ta parole en ces lieux pour un temps encore.
Allons, la cérémonie approche. Que le temps des Cendres s’ouvre !

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.

An 316, 22ème jour du Printemps
Le dernier voyage,
Ultime éclat du Dragon.
Légère soit la Cendre.

Le feu du Dragon s’est éteint. Après avoir protégé la terre, il a cultivé la terre et maintenant ses os reposent en terre. On ne connaît vraiment les autres que dans la mort...
Je suis heureuse d’avoir pu l’accompagner jusqu’aux portes du Tribunal. Cela fait bien longtemps que je n’avais eu de périple si serein dans le désert de cendres.

Mais la mort du Dragon a bouleversé l’équilibre des vivants. Des braises ont repris, et devant le feu insatiable, une folle sarabande s’engage. Halia, Célestin, Elmar, Harbin… tous dansent autour des flammes. Qui brûlera ses ailes et qui s’envolera ? A la réflexion, c’est adapté au lieu. Phandaline et Haute Bannière. La mort et la vie. Deux faces d’une même pièce en un seul lieu. C’est une autre sorte de ville frontière en somme. Et qui dit frontière dit vigilante sentinelle.
Je crois que j’apprécie cet endroit…
Deviendrais-tu sentimentale, Brume ?

Avant de songer à parler de noviciat aux garnements et de bâtir un autel en l’honneur de Morn, il faut d’abord s’occuper des Lycanthropes et mettre la main sur Targor. Pour Vargar. Pour Cestax. Pour Morn. Pour toi.

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.

An 316, 23ème jour du Printemps
Au fond de l’abîme,
Tonne et serpente, maudit,
Le fleuve écarlate.

Le sang appelle le sang. La malédiction ne s’arrête pas pour une prière, que croyais-tu ? Qui a vaincu, celui qui est revenu ? Qui a chuté, celui qui s’en est allé ? Ou l’inverse ?
Leur Destin ne nous appartient pas. Et pourtant. Je suis… Triste. Plus que je ne devrais. Le Destin… Brume, ce qui leur est arrivé était écrit, mais as-tu lu le livre de ce qui est à venir ? Non.
Les livres.
Oui… Arden saura, c’est le rôle des Veilleurs de savoir. Je vais lui écrire. Et continuer à rechercher dans les rêves les signes de Morn.

Il est temps d’avertir l’Ordre. Et de reprendre la chasse. L’illumination de l’âme est dans l’action.

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.

An 316, 25ème jour du Printemps
Fracas du ressac,
Corps brisés, terre entaillée,
Magie déchaînée.

Elle est là. Je le sais. Et si elle y est, Targor aussi. Ma quête touche à sa fin !
Mais tu dois te ressaisir Brume, n’oublie pas les enseignements de Vargar et le fruit de tes méditations. L’élévation de l’âme ne s’envisage qu’avec des racines solidement plantées dans le présent.
Oui… Morn m’a envoyé un signe. Les deux Hibours, unis dans la mort. Est-ce ainsi que doit finir la chasse ? Dois-je escorter Lamesanglante au-delà des portes ? Devons-nous traverser ensemble le désert de cendres ? Si c’est le prix à payer pour purifier mon âme, ainsi-soit-il.

Ou bien n’est-ce qu’un des chemins possibles si je ne suis pas assez vigilante ?
Je crois qu’il est trop tard pour tergiverser, il nous faut suivre le chemin des héros d’antan qui ont fendu la terre. Dans leurs pas je place les miens, que leur force soit la mienne, que leur souvenir guide mon bras.

Morn, je suis et serai ta servante dévouée, de ce côté-ci du voile comme de l’autre.

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.

An 316, 26ème jour du Printemps
Suivre le courant,
Les effluves de la mort.
Elle arrive. La chute.

Entrer par effraction dans une nécropole pour en défier les gardiens. Ce frisson longtemps oublié…
Plus ça change et plus c’est pareil, n’est-ce pas ?
La noblesse de la cause change-t-elle quelque chose à l’affaire ?

J’ai l’impression de tomber depuis si longtemps, et voilà que maintenant l’atterrissage devient une réalité. Y survivrai-je ? Et dans quel état ?

Ah ! Cesse de te perdre dans tes sombres humeurs, Brume. Tu vas avoir besoin d’être affûtée, l’hallali est si proche que tu peux sentir l’odeur de la proie !

Morn, je remets mon âme entre tes mains, montre-moi le chemin !

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.

An 316, 26ème jour du Printemps
De l’ombre glacée
Au cœur du feu des combats.
Le silence des cendres.

Nous avons triomphé d’une nouvelle épreuve. Morn marche à nos côtés.
Dans le silence qui suit le fracas des armes, cinq nouvelles âmes accompagnées à travers le désert de cendres.
Ni haine, ni compassion. Ni jugement, ni regret. J’ai tranché les fils tissés par les Parques, mais ce n’est pas à moi qu’il revient de réaliser la pesée. Je me contente de mettre sur la voie.

Brume, n’as tu pas ressenti la joie sauvage du combat ? La peur de ne pas aller au bout de ta quête et la saveur du triomphe ? Le sang qui bat dans les tempes et le goût métallique dans la bouche ? Le feu de l’âme exaltée et l’amertume silencieuse qui suit ?
Oui. La mort est l’autre face de la pièce de l’existence. Pile, on vit, face, on meurt.

La voie de l’illumination est ouverte par le geste de la faucheuse. La flamme des vies consumées éclaire le chemin des cendres parfaites. Ainsi parlait Cestax.

Targor. Bientôt.

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux

An 316, 26ème jour du Printemps
Contempler l’abysse,
Cendre et ruines du passé.
Le fil est tranché.

Le livre des jours s’est refermé, Targor Lamesanglante n’est plus. Son nom disparaîtra des annales de ce monde, comme le vent efface les mots tracés dans le sable.
Lex talionis, lex ordinis. Les Sentinelles de Cendres seront satisfaites. Même si l’Ordre ne juge pas, il peut condamner.
Vargar, tu es vengé. Et moi aussi.

J’ai cru sombrer dans le néant en voyant l’étincelle de la vie s’éteindre dans son regard. J’y ai lu de la haine, du défi, de la peur… Et j’ai vu dans sa noirceur mon propre reflet. Servir l’Ordre a un prix. Le chemin vers l’illumination passe par de sombres vallées.

L’introspection attendra, Brume. Tu aurais dû mourir dans cette salle, sous le regard de sang d’un nain d’un autre temps. Mais tu vis encore. Et les autres aussi. Morn a encore besoin de toi, de vous, de ce côté-ci du voile. La quête des Griffes de la Vouivre y est liée aussi, tu le sens, n’est-ce pas ? Même si ce ne sont que quelques lignes, il reste à écrire notre Destin.

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.

An 316, 26ème jour du Printemps
Victoire ou défaite,
Fine est la ligne de crête.
Destinée amère.

Brume, ton hubris a encore failli causer ta perte.
Selon le credo, cent fois tu te flagelleras. La chair est faible, mais en la martyrisant tu t'endurcis.
La voie de l'illumination passe par la douleur et la saveur de l'accomplissement suit le goût amer de l'échec. Pour celui qui survit. La route est encore longue, jeune hiérophante. Comptes-tu encore décevoir Morn ? Comptes-tu paver ton chemin de cuisants échecs ? N’as-tu rien retenu des leçons de Maître Vargar ? Ta douleur est méritée, médite cela.

Il faut accepter les atermoiements de la destinée, la route sinueuse dont on ne voit jamais la fin jusqu’à ce qu’il ne soit trop tard.
J’ai échoué, mais j’accueille l’épreuve qui me purifiera.
J’ai échoué, mais j’affronterai le gardien de mon destin.
Une nouvelle pénitence pour mes erreurs. Mais nous vivons toujours, c'est donc que ma quête doit en passer par là et je ne me déroberai pas.


Cette manche est au Drow. Krul a raison, il faut l’accepter.

Cependant, je ne peux m’empêcher d’être fascinée. Ce regard. Cette morgue. Alors que son succès ou sa mort ne se jouait qu'à un coup de dé, il ne semble jamais avoir douté. C'est sans doute ce qui l'a mené là où il est.
C'est ce qui causera sa perte.


Bien. Il n’est plus temps de se laisser bercer d’illusion, il était en cheville avec Targor. Il mourra de ma main. Ou je mourrai en essayant d’accomplir ce serment. Mais plus tard, j’ai compris les signes.
Il exige de ne plus recroiser notre chemin. Je ne vois que deux manières de lui agréer. Qu'il entame son dernier voyage ou que ce soit nous. Qu'il en soit ainsi.
Morn est patient, tous finissent par venir à lui. L'ordre est patient, tous finissent par nécessiter ses services.
Je sers Morn et l'ordre.
Je serai patiente. L’occasion se présentera.

Mais il reste fascinant. Quel est son nom ? L'araignée noire ? Théâtral, certes, mais est-ce un nom ? Il me le dira. Oui. Sur son lit de mort ou le mien.
Et je trouverai les Cendres de Cestax.

L'illumination est pavée de désillusions et de renoncements.
Pour Morn. Pour l'ordre. Pour Vargar. Pour moi.

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux

An 316, 27ème jour du Printemps
Vulnerant omnes,
Le prix du dernier sommeil.
Ultima necat.

La vengeance n’est pas tout, il ne faut pas oublier son sacerdoce, le Destin me l’a rappelé cette fois encore. Grâce à l’aide de Morn et aux flèches de Novembre, une âme piégée a été libérée pour entreprendre le dernier voyage...

En revanche, pour tous ces guerriers tombés… Y-a-t-il eu pour eux la moindre oraison funèbre ? Cela prendra un peu de temps, mais j’y pourvoirai. Et ces lumières… Leurs âmes emprisonnées par quelque magie étrange ou caprice d’un dieu fantasque ? Il faudra que je pose la question à Arden, si j’en ai l’occasion. Ou que je trouve par moi-même.

Décidément, les choses prennent une tournure inattendue. Si nous avons bien trouvé la Forgesort, elle est encore hors de notre portée.
Il est temps de de retourner voir l’Araignée noire, pour que nos chemins se séparent. La Vouivre s’en va-t-en guerre, entendez les tambours, un chapitre va se clore.

La question qui me taraude pourtant est : qui sera encore là pour écrire le suivant ?

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.

An 316, 27ème jour du Printemps
Les ténèbres s'ouvrent,
La chute. Temps suspendu.
Un fil retient l'âme.

Lamesanglante revenu d’entre les morts pour mieux être renvoyé face au dernier tribunal. Ma quête achevée. Mais à quel prix ?

Morn, tu as guidé mon bras et celui de Kruk dans ce combat. Guide ma décision maintenant !
La malepeste soit de mon esprit lent ! J’ai l’impression de devoir errer dans le brouillard sans pouvoir trouver mon chemin.
Ma mission ? L’ordre ? Ou bien Teadon ?

Je voudrais hurler. Mais je ne peux.
Je dois aux autres le visage de la sérénité, car tel est le devoir d’un serviteur de Morn. Accompagner le deuil, quel qu’en soit le coût.

Je marche sur une arête étroite entre deux précipices et Morn attend de voir de quel côté je vais sauter. Ou chuter. C’est une épreuve, je le sens, je le sais. Et si la réponse ne peut venir de mes prières, c’est qu’elle est dans mon choix. Médite, et agis, hiérophante de l’ordre des sentinelles de cendres !

J’ouvre les yeux. Ils me regardent. L’urne est dans mon giron. Tous ces sacrifices… Pour quoi ?
Je me lève. Le devoir d’un héraut des cendres passe avant tout... Je crois. Plusieurs cérémonies m’attendent. Incarne le masque de mort, serviteur de Morn !
Je leur souris avec sérénité. Mon premier pas sur l’arête. Que la danse avec le Destin commence !

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.

An 316, 27ème jour du Printemps
Par delà le voile,
Le chercher, mais à quel prix ?
Marqués par les Cendres.

Ai-je mal interprété les signes ?
Pourtant, j’étais certaine. Réaliser les enseignements de l’Ordre dans leur forme la plus pure. Le prix pour échanger les cendres était-il trop grand ? Ai-je été trop présomptueuse ?
Pourtant Teadon Deux-fois né a vu le Père de Feu aux yeux brillants. Saint Cestax en personne ! Ce ne peut être que lui…

Il faut qu’il me dise ce dont ils ont parlé ! Il le doit ! Saint Cestax lui a forcément donné une piste, quelque chose.
Ou est-ce une nouvelle épreuve ? Pour tremper ma Foi ?
Morn ! Je suis ton humble servante. Je t’ai offensé, je ferai pénitence et sortirai de cette quête plus forte.

Dois-je moi aussi mourir pour en savoir plus ?

Brume, et si briser l’urne avait été une erreur ?
Et si ton Dieu t’avait à jamais tourné le dos ?

Morn, je ne t’entends plus. Je suis seule. J’ai peur.
J’ai peur.
J’ai peur.
J’ai peur.
J’ai peur.

Je la vois. Une petite fille. Une paria. Seule au milieu d’un désert de cendres au goût amer. Seule dans les Ténèbres. Je ne vois pas son visage.
Je lui tends la main, mais elle s’éloigne. Pourquoi ? Je veux courir mais je tombe. Le vertige. Le vertige... Non !

J’ouvre enfin les yeux, mes mains tremblent. Elles sont toujours marquées. Je regarde le ciel. Je ne vois rien, les étoiles ont disparu. Je peux fermer de nouveau les yeux et sombrer. Oui… La fin des épreuves...
Non. Pénitence. Marquer la chair et l’âme.
Saint Cestax, quelle est la voie de la rédemption ?
Y-a-t-il seulement une rédemption possible pour Celle-qui-a-brisé-l’urne ?

Je dois me lever. Marcher. J’ai quitté la voie de l’illumination. Je dois trouver et parcourir le chemin de la rédemption. Quel qu’en soit le prix. Encore.

Morn, je suis ton humble servante et je tremperai ma Foi dans le sang et le feu.
Je marcherai seule, annonçant la mort et moissonnant les âmes.
En Ton Nom.
Car tel est le devoir d’un héraut des Cendres.
Je retrouverai les paroles de Saint Cestax et les porteraient à l’Ordre.
Je ne serai pas jugée.
Car je suis déjà condamnée.
Je serai sauvée.

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.

An 316, 27ème jour du Printemps
Je crie. Le silence,
Seule dans l’abysse infini.
Temps suspendu.

Je ne l’ai pas trahi.
Il m’a fait l’honneur de me parler. De venir à moi.
Je suis comblée et sereine. Le vide n’est plus, ne reste que Morn.
Je dois porter sa parole vers l’ordre. L’Urne n’est plus, mais je suis toujours la servante de Morn.
Et s’il en fallait une preuve, sa puissance a guidé mon bras pour anéantir les non-morts. Morn nous garde. Et je suis son héraut.

Bien.

Maintenant, Brume, sers-toi de cette sérénité retrouvée pour mesurer tes actes. Le feu doit être maîtrisé.
Prends le temps d’écouter. Theadon a décrit le désert de cendres… Il a vu au-delà du voile, il a vu Saint Cestax. Il faut qu’il se souvienne. Il faut transcrire ses paroles. Oui.

Tu as franchi une nouvelle épreuve, et retrouvé la voie de l’illumination. Mais le prix fut grand, à cause de ton arrogance et ton impulsivité. Morn te l’a rappelé.

Pourtant il est toujours à tes côtés. Il ne t'a pas rejeté. Ton sacerdoce n'est pas terminé, hiérophante !

Je regarde l’abysse, mais je n’ai plus peur. Un nouveau pas en avant.

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.

An 316, 28ème jour du Printemps
Avancer dans l’ombre,
Morne lumière pour guide.
Voie de la Cité.

Hiérophante, tu as relevé le gant d’une difficile mission. Guider un novice sur la voie de Morn. Vois-tu d’ici Blême lever les yeux au ciel ? Vargar aurait compris. Et t’aurais donné une chance de réussir. Mais à raison ou à tort ?
Allons, tu as juré de servir Morn. suis les signes qu’il place sur ta route et relève ses défis !

Défis… Signes… Comment interpréter maintenant ce qui est arrivé à Teadon ?
Brume. Tu l’as dit déjà, vous êtes liés. Est-ce la manifestation de ce lien mystique sur ce plan ? C’est un chemin périlleux à explorer avec prudence. Mais aie confiance, tout sera révélé en temps utile.

Et d’ici là, je crois utile de continuer à faire œuvre de mort et de donner le dernier repos à ceux-qui-défient-la-mort. Sans outrecuidance, car celui vit par l’épée périt par l’épée… Chaque combat est un test de volonté autant qu’un saut dans les périls de l’inconnu. Mais pour vivre, il faut savoir mourir.

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.

An 316, 28ème jour du Printemps
A son goût amer
On reconnait la défaite.
Vivre un jour de plus.

A vouloir crâner, nous voilà défaits… C’est ma faute, si j’étais restée plus longtemps dans la fonderie, j'aurais vu ces abominations… Mais la rédemption attendra peu.

Cette nuit m’a laissé l’occasion de méditer. Dans le calme de l’obscurité, j’ai repensé à cette lame qui ne m’a point mordue, j’ai repensé à cette explosion de douleur au fond de ma poitrine. La puissance de l’urne nous a liés, Teadon et moi. Il faut croire que le prix à payer pour le ramener du désert de cendres était d’échanger une partie de ma vie pour sa mort. Serait-ce une leçon de Morn ? Ou de Saint Cestax ? Je m’interroge… Saint Cestax… N’était-il qu’un mortel ?
“Suit la Voie des Cendres,
Vie et Mort toujours unies.
Traverse le voile.”
Est-ce cela ? Vie et mort unies ?

Brume, tu n’es pas théologienne… Laisse ces questions aux érudits… Et tu… Non. Non. Tout cela a un sens.
Suis la Voie et trouve la réponse.

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.

Feu de la bataille,
Forge le corps, trempe l’âme.
Vis la joie sauvage.

J’ai encore les nerfs tendus comme la corde d’une arbalète. Par Cestax, quelle bataille !
j’ai lâché prise, laissé libre court à mes instincts, fureur précise, rage dépassionnée. J’ai contemplé l’ivresse du combat comme hors de mon corps. La poussière retombe, j’ai le souffle court…
Brume ! Laisse couler les émotions comme de la cendre entre tes doigts. trempe ton âme, affûte ton corps, libère ton esprit. Le calme revient.

Un véritable adepte de la voie des cendres marche à la frontière entre deux mondes.

Le combat… L’acte de dispenser la mort, le fait de rendre le repos aux non-morts, tout cela est l’incarnation même de cette danse des confins. Entends les lamentations des cariatides de cendres, sens le soleil gris sur ta peau, goûte le métal du sang dans ta bouche, respire le vent fétide et glacial de l’au-delà, vois le voile trembler et révéler la Citadelle. Tu as fait ton office, serviteur de Morn !

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.

An 316, 29ème jour du Printemps
Echos du silence,
La caverne du Ressac.
Brûle notre flamme.

Le dernier gardien attendait, connaissait-il son Destin ? Les Griffes de la Vouivre ont frappé, sans pitié, ne laissant derrière elles que le bruit du ressac.
La rage et la lame, le feu et la cendre sont enfin venues à bout des épreuves… Le calme surnaturel qui émane désormais de ces lieux serait presque transcendant, si la magie n’était aussi perturbée.

Tu ressens cela, Brume ? Ce sentiment exaltant et terrifiant d’avoir enfin tourné une page, clos un chapitre ? Ecoute le Destin, car la suite est encore à écrire.

Pour Morn. Pour l’ordre. Pour toi. Pour les Griffes.


Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.

An 316, 31ème jour du Printemps
Soleil de printemps,
Du Ressac échappée belle.
Seule face à mes choix.

Urgrosh. Jamais figure familière ne m'a causé tant de joie et de peine. J'ai vu son regard. La voie des Cendres aurait-elle pour prix tout ceux qui me sont chers ? Ne vaudrait-il mieux pas continuer mon chemin seule ?
Je hurle dans le glaçant silence des plaines de cendres et mon cri se perd, étouffé par la poussière grise.
Brume.
L'illumination ne saurait être atteinte sans épreuves. Mais l'heure de de détacher du monde n'est pas encore venue. Morn te l'a fait comprendre. Il n'est qu'une seule voie et Morn l'éclaire, mais les méandres de ta route sont encore à tracer. Tu n'es pas seule. Les Griffes. Urgrosh. Cestax. Morn.
Un pas de plus, l'un après l'autre.

Bien. J'ai choisi ma voie autant qu'elle m'a choisie.

Je dois parler à Novembre. Nous avons un dragon à accompagner par delà le voile.

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.

An 316, 32 ème jour du Printemps
Printemps du dragon,
Chant de mort sur champ de ruines.
Les cendres ou la gloire.

Haute Bannière… La danse des ambitions a repris (mais s’est-elle jamais arrêtée ?), et nous voilà un de ses rouages, tournant follement, pour quelle destinée ?
Las, j’ai avancé un pion pour l’ordre et Morn. Cela n’aura sans doute aucun poids dans l’appréciation de mes actes, mais que l’ordre le veuille ou non, je sers Morn. Urgosh lui-même ne semble pas savoir dire comment il comprend ma décision… Au moins sait-il que ma Foi est toujours ardente. Comme toutes les flammes elle peut vaciller, mais tant que les braises restent chaudes sous la cendre, alors le brasier peut renaître.

Brume, cesse de te morfondre sur tes états d’âme. Ce qui a été fait est fait. Le reste ne t’appartient plus. Alea jacta est…
Concentre-toi plutôt sur les épreuves présentes : l’ombre du dragon plane sur Alia Thornton et Haute Bannière. Et donc sur nous. Griffes de la Vouivre contre souffle du dragon ! Nous sommes les messagers du destin, que les augures s’accomplissent !


Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.

An 316, 33 ème jour du Printemps
Vaincre ses démons,
Par la douleur, rédemption.
Dans la chair, le feu.

Douleur lancinante et souvenirs embrouillés... Tout ce chemin parcouru… Pour me retrouver de nouveau au bord de l'abîme.
Non.
Brume, la voie des cendres, le chemin vers l’illumination ont toujours été au bord du précipice. Une ligne étroite entre la damnation et l’échec. Toujours.
Mais tu as raison, cette fois, c’est différent. Une épreuve. Un seuil. Urgosh l’a senti.
Tu l’as senti.
Ta chair trois fois marquée est une prison pour l’âme éternelle, mais aussi le vecteur de tes actes dans la réalité matérielle. Toutes les pièces ont deux faces. La vie et la mort. Phandaline et Haute Bannière. La victoire et la défaite.

Vainc le Dragon. Trace la Croix.

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.

An 316, 34 ème jour du Printemps
Dragon dans le ciel,
Deux ombres, la mort, la gloire.
Marchons, l’air est lourd.

Le monde que je connais glisse entre mes doigts comme du sable fin. Rien ne le retient, et ce qu’il va devenir est incertain. L’avenir n’est jamais garanti, certes, car demain peut ne jamais arriver. Mais je ne vois qu’un chemin, et il passe par le dragon.
Est-ce sa présence qui me rend si sombre ? La nature se tait et le doute murmure à mon oreille. Et si tout ce que tu fais était vain ? L’emporter contre un dragon ? Et si Morn ne t’avait envoyé sur ce chemin que pour te rappeler à lui, après une leçon d’humilité ?

Durcis ton cœur, raidis ton esprit, Brume. Pour affronter un dragon, il te faudra te dépouiller du doute et de tes hésitations, de la peur comme de tes faiblesses. Laisse l’incertitude couler, se mêler au sol, souffle sur la braise de ta foi et allume le brasier du combat.
L’heure est proche. La balance va pencher. L’ordalie sera mortelle, vouivre contre dragon.

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.

An 316, 36 ème jour du Printemps
Instant suspendu,
Entre deux battements de coeur.
L’odeur de la mort.

Nous marchons dans l’antre du dragon. Il est la corruption, la destruction. La mort peut prendre bien des formes, et l’âcre lézard ailé en est un avatar effrayant.
Jamais l’expression “se jeter dans la gueule du loup” n’aura eu autant de sens. Et pourtant mon esprit dérive. Les autres sont prêts. Je vois leur détermination. Novembre en particulier. C’est une affaire personnelle pour elle, je crois.
Morn, écoute ton humble servante, je t’en prie. Aujourd’hui nous affrontons la Bête. Guide mon bras, affermis ma foi, apaise mon esprit.
Cestax, que ta valeur se reflète dans nos actes !

Brume, l’heure de sauter dans le précipice est venue.

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.

An 316, 36 ème jour du Printemps
Tiamat invoquée,
Terreur et désolation.
L’ordalie commence.

Je suffoque. Je brûle. J’hurle. Le rugissement s’estompe, remplacé par le bruit de vastes ailes de cuir fouettant l’air acre et pesant.
Je vis.
Theadon Deux-fois né aussi.
J’aperçois entre mes larmes les runes incandescentes sur mes avant-bras. Le temps s’arrête un instant.

Brume. Tu sais ce qu’il te reste à faire. Déchirer le voile pour l’âme d’un dragon.

IPSOLATHRAXAS, quelle que soit l’issue, tu apprendras la peur et la douleur.

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.

An 316, 36 ème jour du Printemps
Faux contre poison,
Moisson d’âmes drakéides.
La Mort est en marche.

Les fils de Tiamat ne sont plus. Malheur aux Drakéides !
J’entends rire Ipsolathraxas, le trois fois maudit. Mon corps n’est qu’une plaie, et mes compagnons n’ont guère l’air d’aller mieux. Par delà les vapeurs empoisonnées, je la sens. L’odeur de la mort plane.

Brume, sens-tu le voile s’affiner ? Vas-tu fuir ? Vas-tu faillir ?
Morn ne promet qu’une chose, le dernier jugement. Tu sers la Mort, alors regarde-la en face et souris-lui.

La chute dans l'abîme n’est pas terminée. Je regarde le ciel sombre. Je souffle. Mes mains cessent de trembler.
Je vois dans l'œil de Novembre briller un éclat meurtrier.

Je souris.

Des cendres je suis le héraut.
Des âmes je suis la faux.